Le refus de soins crée souvent une culpabilité chez les soignants et l'entourage du patient. Le refus de la toilette est particulièrement difficile à supporter. Le docteur Bernard Pradines, gériatre, tente de proposer des solutions faciles et pratiques. (LIRE LA SUITE)
Docteur Bernard Pradines, spécialiste en gériatrie.
En service de gériatrie ou en établissement, les professionnels de santé sont souvent confrontés au refus de soins de certains patients ou résidents. En général, il s’agit d’une contestation de traitement médical ou chirurgical, mais ce refus peut aussi concerner les soins dits de nursing parmi lesquels figure la toilette.
Chez les soignants, le refus de soins crée parfois un sentiment de culpabilité, allant parfois jusqu’à l’impression d’échec, surtout si le soin d’hygiène est finalement imposé.
Doit-on, pour autant accepter l’absence durable de toilette chez un résident au nom de la liberté individuelle ?
Comprendre un refus de soins et y répondre demandent d’être formés à cette tâche et de pouvoir y consacrer du temps. A défaut, il en résulterait un stress des intervenants professionnels et des attitudes plus ou moins adéquates pouvant entrainer un certain blocage du patient et le risque de violation de l’éthique soignante.
Dans la pratique, l’hygiène est souvent un impératif, et il n’est pas rare qu’une personne âgée soit contrainte de se laver ou d’être lavée, d’où une possible confrontation entre résidents et soignants. Les moyens de contrainte ne manquent pas face à une personne vulnérable. Le maintien des membres peut faire partie de cet arsenal. Une fois la relation hostile établie entre soignants et soignés, il devient plus malaisé de revenir à l’indispensable apaisement. Les attitudes adaptées doivent donc être connues et appliquées dès les premières difficultés, même si en ce domaine il n’y a pas de recette miracle.
Cette réalité nous interroge sur les limites du respect de la volonté des personnes qui doivent recourir à un hébergement en établissement. Les raisons du refus méritent d’être recherchées car elles fournissent des explications à défaut de solutions constantes. Selon les situations, un tel refus peut être envisagé sous plusieurs aspects comme :
Une question essentielle concernera les habitudes de vie du résident. La fréquence habituelle de la toilette doit être connue. Il convient de savoir qui l’effectuait et comment. L’était-elle à l’aide d’un gant, au moyen d’une douche ou d’un bain ? La réponse sera souvent étonnante au regard des coutumes des nouvelles générations soignantes.
Le manque de respect ou de considération est au rendez-vous de l’échec
La pratique quotidienne systématique de la toilette entière est discutable dans un contexte où les résidents n’effectuent pas de travail salissant ou d’effort physique entrainant une sudation. Tout au plus sera-t-on amené dans certains cas à proposer fréquemment la toilette du siège chez des personnes incontinentes. Les soins seront toujours personnalisés tant il n’y a pas deux personnes aidées identiques. Se présenter semble futile mais parfois indispensable auprès d’une personne souffrant de troubles mnésiques. Expliquer et négocier les gestes sont des préalables indispensables. Se tenir derrière la personne aidée peut être générateur d’insécurité. Dans tous les cas, l’approche soignante devra tenir compte de la pudeur parfois considérable de la personne aidée. La mise à nu sur un lit, sans serviette pour masquer les zones intimes, peut suffire pour provoquer une opposition conséquente. Débuter la toilette par des zones neutres et acceptées expose à de moindres refus. Certaines équipes travaillent à deux, un aidant jouant le rôle de « maitre » et l’autre celui de « furtif » afin que la personne aidée garde un repère relationnel cohérent. Plus généralement, le manque de respect ou de considération est au rendez-vous de l’échec. Ne rien connaitre des habitudes de la famille ou la juger incompétente exposent au fiasco. De même, dire à une personne qu’elle est sale pour argumenter la nécessité des soins est une offense « gentille » qui peut blesser et empêcher la confiance indispensable. Les termes de « couche » ou de « protection » doivent être bannis tant ils évoquent pour certains la régression, voire la déchéance. Par contre, se concentrer sur des idées plaisantes pour elle s’avère souvent utile. Il en est ainsi de l’aspect réjouissant d’avoir fait sa toilette. Positiver ce moment doit demeurer un objectif permanent.
Il peut arriver qu’un résident reste souillé s’il refuse la toilette ; en effet, une stratégie consiste à différer le soin au profit d’un moment plus propice ou de l’intervention d’un autre soignant mieux accepté. Il importe que la famille soit informée qu’il ne s’agit pas d’une négligence. Une suspicion ou un malentendu seraient dommageables à l’indispensable ambiance de sérénité autour du malade. De plus, la collaboration des proches peut être facilitatrice. Bien que ceci ne soit pas dans la tradition des services à la personne, il n’est pas exclu d’envisager la pratique de la toilette par la famille elle-même. Cette stratégie demande des capacités de déprise de la part des soignants qui peuvent vivre ce moment comme un transfert indu de responsabilité. Mais les familles peuvent être incapables d’effectuer cette tâche ou bien peuvent le refuser, arguant que ceci n’est pas dans leur rôle.
Cette question est celle de l’ « auto-négligence » telle qu’elle est conçue et envisagée par l’entourage familial et soignant du résident. La pression de la famille sur les personnels soignants peut alors devenir très forte.
Ainsi, les limites à la tolérance sont celles imposées par les normes sociales du pays considéré à un moment donné de son histoire culturelle. Les protocoles de soins et la morale, surtout depuis la fin du XIXe siècle dans des pays tels que la France, imposent des règles à l’individu récalcitrant. Il s’agit d’une valeur admise, personne n’imaginant que l’on pourrait uriner impunément dans les escaliers du château de Versailles comme au temps de sa magnificence.
Les odeurs dégagées par l’individu peuvent être vécues de manière désagréable par l’entourage. Elles sont plus ou moins tolérées selon les configurations. Ainsi, le fait de résider et de rester dans une chambre individuelle évitera la gêne occasionnée à un voisin hébergé dans la même pièce ou à celui séjournant dans les lieux collectifs. Encore faudrait-il que l’on disposât de telles chambres dont le tarif est le plus souvent majoré.
En principe non. C’est pourquoi certaines écoles se fixent comme objectif de ne jamais pratiquer un soin en contrainte. C’est le cas de l’Humanitude fondée par Yves Gineste et Rosette Marescotti qui plaide pour une approche relationnelle faite de bienveillance et d’empathie permettant d’accomplir des gestes encore souvent imposés. Il s’agit de mettre le patient en confiance dans une relation à la fois respectueuse et fondée sur une multitude d’attitudes adaptées jusque dans les moindres paroles et gestes. Bien sûr, les avis du résident – si possible – et de sa famille seront recueillis. Une concertation pluridisciplinaire devrait être toujours entreprise devant ces cas difficiles. Dans des circonstances rares, il peut arriver de prescrire une prémédication la plus légère possible pour permettre un soin devenu indispensable. Dans ce cas, un antalgique peut se justifier par l’existence des douleurs bien qu’aucune substance ne puisse remplacer la connaissance des zones douloureuses et la douceur des manipulations. Un anxiolytique peut trouver sa justification dans une anxiété réfractaire à toute approche empathique. Cette dernière prescription permet de ramener l’indispensable sérénité autorisant ultérieurement l’arrêt de toute médication ; une attitude qui ne doit en aucun cas devenir un recours facile permettant la taylorisation des soins d’hygiène. En somme, les approches non médicamenteuses doivent toujours garder la priorité, le recours aux sédatifs étant envisagé seulement par défaut.
Pour paraphraser un comédien du XVIIIe siècle, admettons que pour l’auteur de ce texte, la critique est aisée mais l'art soignant est difficile. Pourtant, gageons que la culpabilité liée à l’échec laissera progressivement place à de nouvelles aptitudes liées à l’amélioration des soignants en nombre et en compétence.
1. Bret S. Stetka, MD; Christoph U. Correll, MD. Rare and Unusual Psychiatric Syndromes. Medscape. June 26, 2014. http://www.medscape.com/features/slideshow/rare-psych#15 (consulté le 20 mars 2017).
2. http://free.geriatrics.overblog.com/2017/02/une-enquete-non-publiee-sur-les-soins-de-longue-duree-a-paris.html
3. Makdessi Y, Pradines N. En EHPAD, les résidents les plus dépendants souffrent davantage de pathologies aigues. Études et Résultats, n°989, Drees, décembre 2016. http://drees.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er_989.pdf
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