Les débats qui ont précédé l'adoption de la nouvelle loi Leonetti/Claeys ont été très vifs, cela amène à se demander si la loi Leonetti ne suffisait pas. Le professeur Thierry Marmet, spécialiste en médecine palliative, propose une analyse de la situation (...)
Professeur Thierry Marmet, professeur associé de médecine palliative, Université Toulouse III.
L’immanence de la peur de la mort, et son corollaire la peur de la souffrance, a toujours conduit les organisations collectives humaines à mettre en place des dispositifs ritualisés pour y faire face. Le XXe siècle sera le théâtre d’une profonde modification des attitudes face à la mort, au point que les historiens (Philippe Ariès, Michel Vovelle) qualifieront la fin du XXe siècle de période de la mort interdite ou escamotée. Il y a à cette affirmation plusieurs déterminants :
Le XXe siècle nous a également confrontés à une expansion de l’individualisme. Cela n’est pas un mal en soi, s’il s’agit de se mieux connaître, dans la confrontation à l’autre, pour s’en enrichir et aller vers une ipséité dont la visée première est le bien commun. Malheureusement la forme la plus commune de cet individualisme s’apparente à de l’égoïsme, à un repli sur soi dont la conséquence est la recherche de « boucs émissaires », désignés responsables des maux dont souffre notre société (les élites, les politiques, les chômeurs, les immigrants, …). Tout cela rend l’homme bien vulnérable et le met en grande difficulté pour s’affronter à l’épreuve de la mort et de la maladie.
Sous l’angle de l’éthique biomédicale, nous avions une vision très paternaliste de notre manière d’être auprès des personnes malades. Nos actions étaient irradiées de la visée de bienfaisance et de non malfaisance, quant à respecter l’autonomie des personnes malades, c’était tout autre chose. Nous savions ce qui était bon pour elle et nous présupposions qu’il valait mieux les protéger d’informations qui risquaient de les faire souffrir davantage. Le tout s’inscrivait dans l’idée que la santé n’avait pas de prix et partant que la justice était à l’œuvre, parce que nous nous étions donnés, avec la sécurité sociale, les moyens d’y faire face, pour que toute personne malade accède équitablement aux soins. Cependant, à la fin du XXe siècle, des voix de plus en plus nombreuses s’élevaient contre cette posture médicale et revendiquaient d’être respectées comme des sujets ayant la compétence de choisir ce qui est bon pour eux et les risques qu’ils sont prêts à courir.
C’est dans ce contexte que quatre lois successives, vont venir alimenter, dans le code de la santé publique, un livre préliminaire sur les droits des patients et des usagers du système de santé :
S’agissant de l’euthanasie, le fait d’y associer des épithètes telles « active » et « passive » générait de grandes ambiguïtés. La loi Leonetti a produit une clarification. La décision de limiter ou de ne pas mettre en œuvre un traitement qui pourrait prolonger la vie sans qualité de vie n’est pas de l’euthanasie passive, mais un acte médical réfléchi de ne pas se mettre en situation d’obstination déraisonnable. De même, en utilisant le principe du double effet : le fait de prescrire un traitement qui comporte le risque de raccourcir la vie du patient mais dans l’intention première de contribuer au soulagement de ses inconforts notamment de la souffrance, n’est également pas de l’euthanasie passive. Ce principe, que l’on doit à Thomas d’Aquin, a été beaucoup discuté. À l’issue, il est une acception largement majoritaire qu’il existe une différence éthiquement consistante entre mettre fin délibérément à une vie et prendre le risque de raccourcir une vie pour soulager les symptômes. Cette différence est ténue, elle exige une discussion préalable la plus large possible selon les principes de l’éthique clinique.
Le législateur avait pensé à encadrer les discussions collégiales pour les décisions de limitations et d’arrêt de traitement et cela était une bonne chose dans la perspective de dégager un consensus tolérable sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire. Il est dommage qu’il n’ait pas proposé de discussion collégiale pour décider de tous les actes médicaux qui relèvent de l’application du principe du double effet. Cela concerne en particulier les décisions complexes de sédation pour détresse en fin de vie, sachant qu’en pratique, la décision d’une sédation se prenait à l’issue d’une discussion d’équipe. Cette posture était encadrée de recommandations de bonnes pratiques publiées par la société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Nous ne faisons que regretter qu’un grand nombre de soignants et de médecins en particulier, ne les connaissent pas.
Il convient de souligner que comme beaucoup de lois, celles qui encadrent les droits des personnes malades et des usagers du système de santé étaient aussi méconnues des personnes malades que de leurs familles et des soignants.
La loi Leonetti était une loi d’équilibre, elle ne répondait pas à toutes les questions, mais elle nous renvoyait un questionnement éthique qui s’inscrivait dans une approche interdisciplinaire : promouvoir l’interaction permanente de la personne malade avec l’ensemble des acteurs qui sont à ses côtés. Cela requiert une compétence relationnelle qu’il conviendrait de promouvoir davantage dans la formation initiale et continue des professionnels de santé.
Sitôt élu, François Hollande demande au professeur Didier Sicard, médecin interniste bordelais, de problématiser sa proposition. Ce rapport mettra en exergue la méconnaissance des lois sur les droits des personnes malades en fin de vie, l’insuffisance de formation à la démarche palliative des professionnels de santé, la plainte récurrente des personnes malades du fait que les professionnels de santé et notamment les médecins les écoutent insuffisamment et sont loin de délivrer une information claire et loyale, et enfin une insupportable iniquité d’accès aux soins palliatifs qui génère des situations insupportables. Ce même rapport fait constat de positions tranchées entre ceux qui majoritaires, pensent que la loi ne doit pas aller plus loin, et ceux, minoritaires, qui revendiquent de faire de l’accès à l’euthanasie un droit supplémentaire.
Après ce rapport, François Hollande a sollicité le Comité consultatif national d’éthique en lui posant trois questions :
À la première question, le CCNE proposera de rendre les directives anticipées opposables, autrement dit, le médecin devra les appliquer. À la deuxième, il proposera un accès à une sédation profonde et continue dans les situations de souffrances réfractaires et après une décision de limitation ou d’arrêt de traitement actif. Quant à la troisième, il fera également constat, de positions difficilement conciliables, et recommandera de prioriser les améliorations de l’existant, tout en gardant ouvert un espace de discussion éthique sur des questions pour lesquelles la réponse n’est pas unique. À cet effet, il proposera que la discussion se poursuivre dans des débats citoyens. Le CCNE en organisera lui-même un et proposera par ailleurs, que les espaces de réflexion éthique régionaux, les organisent en région.
Une nouvelle loi a donc été publiée en février 2016, dite Claeys-Leonetti. Elle donne une dimension supplémentaire à l’expression de la volonté de la personne malade et de son respect, en rendant contraignantes les directives anticipées. N’y a-t-il pas là un risque à rompre le dialogue. Il a été argué qu’une des finalités était de limiter la toute-puissance médicale. J’ai le sentiment que l’on a été contre-productif, en ce sens, qu’in fine, la décision reste médicale, là où il aurait été probablement plus humain d’imaginer que ce soit le consensus certes fragile de la discussion collégiale qui s’impose. Quoi qu’il en soit, il y a une opportunité à saisir : j’en appelle à utiliser le temps d’information sur l’existence des directives anticipées et de l’aide à les rédiger, pour qu’il soit le temps de renouer le dialogue avec les personnes qui requièrent nos soins. C’est une occasion unique de rétablir de la confiance et de renforcer l’alliance thérapeutique.
Cette loi sera bonne si réellement se déploient et se multiplient les discussions collégiales avec le support d’une véritable éthique de la discussion et du prendre soin.
Cette loi a consacré un nouveau droit, celui d’accéder à une sédation profonde et continue. Ce nouveau droit est très contraint : il ne s’exerce que dans la situation d’une souffrance réfractaire à toutes les approches connues. Mais d’ores et déjà, nous assistons à la demande de personnes en fin de vie, dont le pronostic vital n’est pas encore en jeu, qui disent avoir décidé d’arrêter de boire et de manger et de réclamer dans ce contexte, l’accès à la sédation profonde et continue. Cette demande est profondément humaine et un marqueur de profondes souffrances. C’est un appel à la sollicitude. Il y a un lien très fort avec la peur de mourir et la peur de souffrir, réelles mais fantasmées. C’est un appel à l’écoute non jugeante, c’est un appel à faire récit. Les situations de grandes souffrances nous confrontent à de l’impuissance, à un sentiment d’incompétence et partant de là à un risque de passage à l’acte. Pourtant, combien de fois cette confrontation a créé les conditions pour que la personne choisisse de vivre encore. Il y a fort longtemps que la pratique des soins palliatifs a donné un contour à ce que nous avons appelé la sédation pour détresse en phase palliative. Elle comporte les indications de sédation profonde et continue, dont la prescription se fera dans une interaction respectueuse de la personne malade et de sa famille.
Telle que la loi présente la sédation profonde et continue, elle devient un acte potentiellement déshumanisé, car il est rupture dans la relation. Un des débats récurrents qui a conduit à cette posture est la problématique du « long mourir ». Je note au passage, que c’est rarement la personne malade qui exprime alors des volontés sur cette situation, mais sa famille, ses proches et bien entendu des équipes soignantes. Je ne peux qu’avoir de la compréhension sur le fait que le long mourir nous vulnère (nous blesse moralement). Mais histoire classique du verre à demi vide à demi plein : pourquoi réduire les questions à celles d’une souffrance potentielle là où, par expérience, j’ai souvent vu un travail spirituel : prendre le temps de mourir pour finir de régler un certain nombre de choses. Ce constat fait devoir de respect et de prendre du temps… qui bien entendu manque de plus en plus aux soignants.
Conclusion
Voilà donc une loi qui apporte la démonstration que les questions autour de la fin de vie ne s’inscrivent pas que dans un fait médical et a fortiori dans la loi. Elle convoque notre éthique, dans une immanence du doute, je suis sûr qui exige le débat, le récit, le respect de l’expression de la parole et le respect des personnes malades. Attention aux généralisations hâtives quand la réalité s’inscrit dans la singularité. Cette loi a un fort potentiel à ne pas être bonne dans le caractère toujours unique et complexe d’une situation. Oserons-nous en parler en faisant fi des postures idéologiques qui l’entourent ? Cette loi sera bonne si réellement se déploient et se multiplient les discussions collégiales avec le support d’une véritable éthique de la discussion et du prendre soin. Elle sera un nouvel échec si elle reste réduite à un débat idéologique entre les partisans d’une dépénalisation du suicide assisté et de l’euthanasie et ceux qui s’y opposent.
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