« Mangez ce qui vous fait plaisir ! », voilà une façon de présenter aux patients ce qu'est « l'alimentation plaisir ». L'idée de ne pas réduire l'alimentation à de simples aspects nutritionnels semble séduisante. Mais quel est l’apport de la diététique plaisir dans le traitement du cancer depuis la phase curative jusqu'à la fin de vie ? Monsieur Nicolas Sahuc, diététicien au CHU de Montpellier, propose de mieux définir ce que pourrait être une « diét-éthique ».[...]
Monsieur Nicolas Sahuc, diététicien au CHU de Montpellier, Master 2 en philosophie pratique mention éthique médicale et hospitalière, spécialisé dans les troubles alimentaires et l'obésité, nutrition sport de haut niveau.
Pendant les phases de traitement d’un cancer, les risques de dénutrition sont importants. C’est pour cela que l’alimentation va être modifiée pour une nutrition adaptée. Il est à noter que « nutrition » et « alimentation » n’étant pas synonymes, il est nécessaire de faire un examen de cette distinction dans l’acte alimentaire. Si l’alimentation relève du spontané, de l’identité et donc des aspects culturels d’une personne, la nutrition, elle, prend son origine dans la science médicale dans un aspect plus technique. Au coeur du traitement d’un cancer, l’importance que va prendre la nutrition va entraîner des effets positifs et des conséquences dans le rapport intime du malade avec son plaisir alimentaire :
L'alimentation plaisir doit correspondre aux désirs et aux respects de la demande du patient
Pour éviter de réduire la diététique aux aspects nutritionnels, l’idée de réintroduire le plaisir est le conseil de « bon sens ». Si cette idée semble séduisante, elle demande un examen plus précis du plaisir. Évoquons la fable de La Fontaine L’ours et l’amateur des jardins. L’ours voulant « bien faire » va prendre une brique pour tuer la guêpe qui dérange la sieste tranquille de son ami le prêtre…Toute démarche spontanée faite sans conscience risque de précipiter une situation vers la catastrophe. Souvent nous offrons le « plaisir alimentaire », par exemple la boîte de chocolat, dans l’idée que cela puisse, de manière spontanée, stimuler la prise alimentaire. Mais c’est un plaisir vicié qui prend son origine dans les attentes de l’autre qui peut se sentir offensé lorsque ces derniers sont rejetés. Il me semble que cette question du plaisir doit correspondre aussi aux désirs et aux respects de la demande du patient.
Malgré cet idéal d’accompagnement dans le soin, il est fréquent de penser, d’entendre cette phrase dans les couloirs des instituts : « Il ne lui reste que l’alimentation », lorsque la guérison devient impossible. Un des soins médicaux propose le « plaisir alimentaire » comme unique objectif. La diététique est réduite à une technique médicale, apportant un « je ne sais quoi » qui se limite au corps. Alors que le terme « diététique » prend son origine dans le mot grec diæta pouvant se traduire par : « art de vivre », telle une philosophie de vie donnant du sens à l’homme dans sa globalité : le corps, l’esprit et l’âme. La diététique est indifférente au contexte, de la situation. C’est-à-dire que la diététique prend son origine dans l’individu, dans une liberté vis-à-vis du corps et donc du contexte. En résumé, lors de la fin de vie comme tout au long de la vie, le plaisir est annexe à la prise alimentaire, non pas un objectif. Elle est l’expression d’une réflexion et d’une continuité de l’identité des personnes. En revanche l’appauvrissement du mot diététique, réduit au seul plaisir du corps, par objectif ou par défaut, couplé au désir d’immortalité de notre société occidentale, fait du plaisir alimentaire une technique de soin, un objectif, qui pourrait mettre en péril la dignité de la personne. L’acte alimentaire prend son essence dans une dimension du soin à prodiguer, positionnant la diététique au service du soigné. La nutrition relève plus du soulagement des peines et des souffrances vécues par l’entourage comme des soignants face à la tragédie les poussant à viser le plaisir alimentaire.
Dans la période tragique de la fin de vie, le plaisir alimentaire par une approche diététique se propose de dépasser la technique, de sortir du simple rapport aux plaisirs du corps pour donner un sens à l’existence.
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