La découverte des cellules iPS a valu le prix Nobel à J. Gurdon et S. Yamanaka en 2012. Elles ont été présentées comme une solution à tous les problèmes éthiques posés par la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Le Pr. Bettina Couderc met cependant en évidence quelques difficultés qui pourraient surgir de leur utilisation. [...]
Professeur Bettina Couderc, chercheur en biologie moléculaire et biotechnologie (individualisation des traitements des cancers ovariens et ORL), Institut Claudius Rigaud, IUCT-Oncopole (Institut universitaire du cancer-Oncopole de Toulouse).
1. Les cellules souches adultes
Depuis la première transfusion sanguine en 1667, les médecins utilisent l’injection de cellules humaines afin de guérir, prévenir ou atténuer une pathologie. Les applications de cette « thérapie cellulaire » n’ont jamais cessé de s’accroître. Actuellement il est courant de réaliser des transplantations de cellules souches adultes, issues par exemple de la moelle osseuse pour reconstituer le système hématologique d’un patient mis en aplasie. Il est aussi possible de les injecter pour soigner des pathologies articulaires, tendineuses ou cardiaques (infarctus du myocarde ou insuffisance cardiaque) car ces cellules de moelle ont l’énorme avantage de :
Ces cellules souches adultes sont « multipotentes ». Elles font parties du grand groupe des cellules souches, capables de deux choses :
Cet aspect « multipotent » indique que selon l’organe ou le tissu où elles sont implantées, elles ne peuvent se différencier qu’en un faible nombre de cellules différentes ce qui limite leur potentialité (figure 2). Mais sur le plan éthique, leur utilisation ne pose pas de problème particulier car elles sont prélevées soit chez un donneur adulte (souvent le patient lui même pour une greffe autologue) soit à partir d’un cordon ombilical. Le principe français est celui de la gratuité et du consentement éclairé.
Des patients atteints de pathologies lourdes pourraient bénéficier de l’injection de cellules à visée thérapeutique : les grands brûlés nécessitant des greffes de peau importantes, les patients atteints de pathologies de la moelle épinière, de certaines pathologies ophtalmologiques (DMLA), de maladies auto-immunes, de pathologies neuronales (Chorée de Hungtinton, Parkinson, Alzheimer), rénales, hépatiques, etc.[1] Mais pour ces pathologies la cellule à injecter ne peut être une cellule souche multipotente issue de la moelle. Elle doit être une cellule « différenciée » correspondant à l’organe à soigner (cellules du système nerveux central, neurones, cellules rétiniennes etc.). Ces cellules ne peuvent pas être prélevées sur un individu adulte vivant et ne sont pas non plus cultivables en laboratoire. En revanche, elles peuvent être prélevées à partir de fœtus issus d’avortements mais leur obtention pose à la fois des problèmes éthiques et immunologiques. Elles peuvent aussi être obtenues à partir de cellules souches embryonnaires (ES) qui sont prélevées sur des embryons surnuméraires au stade de blastocystes.
2. Les cellules souches embryonnaires
Les cellules ES sont dites « pluripotentes » (figure 2) ce qui veut dire : capable de se multiplier à l’infini et de se différencier en types de cellules qui composent un organisme adulte. Leur obtention est aisée, leur culture en laboratoire simple, pouvant surtout les différencier en 3 semaines dans n’importe quelle cellule du corps humain. Elles sont actuellement utilisées en clinique humaine pour des altérations de la moelle épinière[2] et pour soigner la maladie de Stargardt[3]. Les cellules ES, obtenues par destruction d’embryon surnuméraire, posent un problème éthique et immunologique dans leur utilisation. Sur le plan éthique, le problème est la destruction d’embryons lors de la mise en culture de cellules souches embryonnaires. Sur le plan immunologique, les cellules différenciées à partir des cellules ES n’auront pas forcément le même typage HLA que la personne à soigner. Les cellules ES ont donc une grande chance d’être éliminées dès leur injection chez un patient car reconnues comme « corps étranger ».
3. Les cellules iPS
Le chercheur J. Gurdon et plus récemment S. Yamanaka ont montré qu’il est possible de reprogrammer des cellules de peau humaine et de leur faire « remonter le temps » jusqu’à (re)devenir des cellules souches pluripotentes (figure 3)[4]. Ce processus prend environ 3 semaines. Ils ont pour cela reçu le prix Nobel de physiologie et Médecine 2012. Une fois reprogrammées, les cellules obtenues peuvent être soit maintenues en culture ou congelées pour une utilisation ultérieure, soit (re)différenciées pour donner des cellules aussi diverses que des neurones, des cellules rétiniennes, des cellules cardiaques, etc. J. Gurdon et S. Yamanaka ont appelé les cellules reprogrammées les cellules iPS pour « induced pluripotent cells » ou cellules pluripotentes induites (figure 3).
La découverte de ces cellules iPS permet d’envisager la thérapie cellulaire pour différentes pathologies en s’affranchissant des problèmes éthiques et immunologiques posés par les cellules souches embryonnaires. D’une part, les cellules iPS sont obtenues à partir d’une personne adulte et consentante. D’autre part, après remise en culture et reprogrammation, elles peuvent être utilisées pour soigner le donneur lui-même ou une personne de même typage HLA.
On pourrait donc assister à une course à l’immortalité où l’on essaierait le plus possible de retarder le vieillissement
a. État des lieux de l’utilisation des cellules iPS
Une cellule de peau peut donc être reprogrammée pour devenir une cellule souche pluripotente, et celle-ci peut être à nouveau différenciée pour redevenir une cellule spécialisée correspondant à l’ensemble des organes humains : neurone, hépatocyte, cardiomyocite, cellule hématologique, pancréatique, etc.
En parallèle du développement des cellules iPS, il existe une deuxième avancée thérapeutique majeure ces dernières années qui concerne l’édition de gènes. Il est actuellement possible de corriger un défaut génétique sur des cellules en culture avec une bonne efficacité. Cela veut dire que lorsque des cliniciens souhaiteront soigner par exemple des enfants atteints d’épidermolyse bulleuse, ils pourront leur greffer des lambeaux de peau générés à partir de cellules iPS obtenues chez l’enfant mais corrigées pour le défaut génétique causant la pathologie[7].
b. Contraintes liées à l’utilisation des cellules iPS
Le protocole de thérapie cellulaire utilisant les cellules iPS d’un patient sera très onéreux à mettre en place. En effet après la biopsie de peau, il faut environ 3 semaines pour reprogrammer les cellules et 3 semaines de plus pour les différencier. Il s’écoulera donc beaucoup de temps entre la biopsie et l’injection. Les procédures de culture, de vérification de la reprogrammation puis de différenciation sont consommatrices de temps et d’argent.
Afin de diminuer le temps entre le diagnostic d’une pathologie et l’injection des cellules thérapeutiques, S. Yamanaka a suggéré de créer des banques mondiales d’iPS correspondant à chaque type HLA humain. Il a commencé la banque au Japon et a déterminé qu’il lui faut obtenir des cellules de 42 individus de typage HLA différents pour couvrir les besoins en cellules de l’ensemble de la population japonaise. Une fois la banque créée, le temps avant injection sera réduit aux 3 semaines indispensables à la différenciation des cellules iPS en cellules d’intérêt thérapeutique pour chaque patient. De telles banques sont prévues en Europe et en Amérique du Nord mais le brassage de la population fera qu’un nombre plus important de donneurs sera nécessaire.
c. Réserves quand à l’utilisation des cellules iPS en clinique
À ce jour, l’injection de cellules iPS n’est pas autorisée en France. En effet des études supplémentaires visant à certifier l’innocuité de ces cellules sont en cours. Il faut être certain que l’injection de cellules iPS après différenciation n’induise pas la formation de tumeur au site d’injection et que les cellules iPS sont bien immunocompatibles avec chaque patient. Les essais cliniques ont cependant démarré au Japon et aux USA. Il faudra au moins 2 ans avant que les résultats de ces protocoles soient publiés.
d. Questions éthiques posées par le développement des cellules iPS
Le développement des cellules iPS ne présenterait aucun questionnement éthique. C’est ainsi qu’elles ont été présentées à la communauté scientifique. En effet ces cellules viennent d’un prélèvement sur une personne humaine le plus souvent adulte et avec son consentement (à la différence des cellules souches embryonnaires). L’utilisation des cellules répond à un besoin de mise en place de tests pour l’identification et la sélection de nouveaux médicaments et de traitement direct de maladies graves.
Toutefois les immenses potentialités de ces cellules laissent entrevoir de possibles dérives.
Ces considérations nous font poser un œil différent sur les 1013 cellules qui composent notre organisme. Si chacune d’elles a la capacité de générer un organisme entier, elles ne seraient plus seulement des « objets » ou des « chutes opératoires » mais des personnes humaines en puissance. Cette perspective paraît difficile à envisager.
Les cellules iPS restent un espoir thérapeutique majeur par leurs formidables potentialités. Il faut souhaiter que les limites éthiques que nous venons d’évoquer ne seront jamais franchies ou transgressées.
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Notes de bas de page :
[1] Buzhor et al. Regen Med. 2014;9(5):649-72.
[2] Mackay-Sim A, Methods Mol Biol. 2013;1059:229-37.
[3] Ramsden CM et al. Development. 2013;140(12):2576-85.
[4] Takahashi K et al Cell. 2007 ;131 :861-872
[5] Takebe T, et al. Nat. Protocol. 2014; 9 :396-409; Itoh M, et al. PLoS one 2013; 8 : e77673; Lancaster MA, et al. Nature 2013; 501 : 373-379
[6] Inoue H, et al. EMBO J. 2014 ; 33(5):409-17, Reardon S and Cyranoski D. Nature. 2014; 18 ; 513(7518) : 287-8.
[7] Garber K, et al. Nat Biotechnol. 2013 ; 31 : 483-486
[8] Irie N, et al, Cell. 2014 pii: S0092-8674(14)01583-9.
[9] Abad M, et al. Nature 2013 ; 502 : 340-345
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