Cependant, l’accès à la maternité pour toutes, désormais indépendant de la différence des sexes et du rapport sexuel, engendre des bouleversements culturels et anthropologiques importants :
Concomitamment, d’autres voix et courants de pensée alertent ou s’élèvent contre les risques liés à l’évolution de ces nouveaux droits et de ces pratiques de procréation :
Chez les psy (psychiatres, pédopsychiatres, psychologues, psychanalystes), on constate que les approches sont divergentes. Certains praticiens évoquent la banalisation des souffrances de l’enfant ou des troubles relationnels des futures mères :
Mais pour d’autres, rien ne permet de justifier un risque spécifique :
Pour d’autres intellectuels : les psychanalystes devront désormais revoir leur modélisation théorique, et la prétention de leurs concepts-clés à se considérer comme des invariants : Métaphore paternelle, Phallus, désir de la mère, Nom-du-père, (H. Glevarec[6]).
Enfin, je n’évoquerai pas les critiques simplistes qui considèrent que la psychanalyse est une forfaiture, que son fondateur était un détraqué, ou que sa théorie de la différence des sexes et de l’orientation sexuelle est ringarde ou machiste…
La fonction paternelle peut-elle être assurée par un autre que le père ? Cet autre peut-il être une femme ?
Mon questionnement portera donc sur ce qu’on appelle la fonction paternelle, avec un lot de questions :
Il me semble que, dans le débat public, les confusions, les amalgames, les généralisations et les approximations vont bon train. C’est donc pour tenter de préciser la complexité de ces données que j’ai souhaité présenter cette question : finalement, qu’est-ce qu’un père ?
Tout d’abord, ne faut-il pas distinguer « le père » du « papa » ? La « fonction » paternelle de la « responsabilité » paternelle ?
Le père et la paternité dans l’histoire de l’Occident ont toujours eu une place prépondérante dans l’organisation sociale et familiale : « Zeus était appelé Père des Dieux ; Père des hommes, Père de toutes choses, Père du monde, Père tout puissant » [7].
Avec le christianisme, c’est ensuite un père créateur du ciel et de la terre, qui nous a envoyé son fils fait homme, à travers une parentalité assez étrange, emprunte d’un mélange de divinité, d’humanité et de mystère. Ce fils, né on ne sait trop comment, ira même jusqu’à annoncer à ses deux parents interloqués qu’il doit vaquer « aux affaires de son père » (Luc, 2).
Dans leurs versions profanes, évolutionnistes ou mythologiques, Darwin et Freud se rejoignent pour nous livrer l’histoire d’une horde primitive dans laquelle la toute-puissance du père ne peut conduire qu’à son meurtre, et que ce meurtre débouche sur une société égalitaire organisée autour de lois symboliques (totems et tabous / valeurs et interdits).
Dans notre Occident en tout cas, le père est cette figure totémique qui ne cesse d’être mise à mort, au nom de l’égale jouissance et de l’égale liberté de ses femmes, de ses fils et de ses filles. Mais c’est aussi avec la mort du père que la vie se complexifie, car les fils deviennent père à leur tour et doivent s’organiser socialement pour garantir la continuité de l’espèce et une place à chacun et à chacune.
Dans notre histoire occidentale récente, la condition féminine et la puissance paternelle ont fortement évolué pour tendre, toujours plus, vers une égale dignité ; et au cours de cette évolution, la « puissance paternelle » a cédé sa place à la notion de « bon père de famille », puis à « l’autorité parentale partagée ».
Aujourd’hui, la puissance masculine et la virilité sont devenues des valeurs suspectes, et l’on se moque trop facilement et trop rapidement du malaise engendré chez les hommes par cette évolution de l’autonomie des femmes. Mais après tout, puisqu’il n’est plus nécessaire d’avoir des muscles pour aller à la chasse, faire la guerre et protéger les siens, que reste-t-il d’autre à l’homme que de devenir encore un peu plus civilisé pour répondre aux attentes des femmes ?
La puissance virile est régulièrement raillée, déconsidérée, assimilée à la violence, à la bêtise, à la goujaterie et au machisme. Je me souviens qu’une enquête des années 90 sur l’image paternelle des nouveaux pères chez les français indiquait que nous étions passés des modèles virils de Jean Gabin ou de Lino Ventura à celui plus romantique et plaintif d’Alain Souchon (« Allo maman bobo », « j’ai dix ans »).
La virilité a dû en rabattre pour se faire plus conforme aux sensibilités des femmes, … dans les codes du politiquement correct en tout cas, car l’engouement massif et récent des femmes pour les matchs de rugby, nous montre comment elles savent se parer et se grimer aux couleurs de leurs guerriers idolâtrés, pour les soutenir dans le combat contre leurs adversaires du jour. Chasser le naturel n’est finalement pas si facile…
Aujourd’hui le terme de père recouvre différentes réalités :
Ces différentes réalités jettent un trouble, car il est difficile de répondre à la question : quel est le « vrai » du père ?
Derrière ces désignations, je distinguerai deux grandes dimensions de la paternité :
Je voudrais préciser ces deux dimensions : dans le holding et le handling, père ou mère, homme ou femme sont finalement assimilables et interchangeables l’un à l’autre. Et même si les sociologues nous montrent que les tâches domestiques et éducatives sont encore réparties de manière inégale et sont encore très genrées, ces tâches sont partageables indistinctement, et constituent la source de ce qu’on appelle l’attachement. L’enfant s’attache —généralement— à ceux qui s’occupent de lui. Le père peut donc être social, et les figures du père peuvent être multiples entre le père de naissance et le ou les beaux-pères. « Le père pour l’enfant, c’est celui qui est là, (…) et qui lui tend les bras » (S. Lama[8]). Dans cette dimension de la figure du père, le père assure en quelque sorte une fonction maternante : Il est l’auxiliaire du Moi de la mère dont l’enfant a besoin.
Si on voit bien ce que peut désigner le verbe "materner", en revanche, qu’est-ce que serait "paterner"
Mais alors se pose une question : quelle place a la différence des sexes dans le caractère interchangeable des rôles ?
Pour reprendre une question de mon Professeur de Psychologie A. Laflaquière : si on voit bien ce que peut désigner le verbe « materner », en revanche, qu’est-ce que serait « paterner » ?
On aborde ici le versant psychique de la généalogie, celui d’une « autre scène » qui échappe aux enquêtes médiatiques et sociologiques. C’est la dimension de l’origine de la vie, de l’alliance conjugale des parents et de la filiation, auxquelles s’arrime la « fonction » paternelle : c’est la question que pose l’enfant à ses parents : « d’où je viens ? Pourquoi suis-je né ? J’étais où avant de naître ? ». Voire : « Qui es-tu pour te mêler de ma vie ? ». C’est aussi la question de l’autorité sur l’enfant et notamment de la légitimité de cette autorité : le père n’est pas n’importe quel adulte.
Cette « autre scène » a une incidence importante sur le développement psychique de l’enfant :
Malgré sa légitimité généalogique, la place de père expose à la fragilité celui qui l’occupe. En effet, au sein des fonctions de holding et de handling, il arrive un jour où il faut cesser de satisfaire les demandes de l’enfant… Car, profitant de l’amour maternel pour devenir tyrannique, entrant en concurrence avec ses frères, ses sœurs ou ses parents, tenté par des conduites préoccupantes…, le jour vient où il faut lui signifier des limites, des interdits, des refus. Dire non et maintenir ce « non » contre vents et marées.
Est-ce l’apanage du père de dire non ? Non bien sûr, une mère peut le faire, un tiers peut aussi assurer ce rôle, un homme ou une femme, un grand-parent… Mais le père biologique de l’enfant détient une autorité comme nul autre. L’enfant est de sa chair et cet arrimage au réel lui donne la force et la légitimité pour tenir ensemble les deux autrescomposantes de la fonction paternelle :
« C’est de la mère que s’engendre une “place paternelle autre” que celle de l’enfant. Il faut d’abord que cette place existe dans le désir de la mère pour qu’un homme puisse l’occuper. Si cette place est forclose en elle, elle le sera pour l’enfant, et ainsi, le meilleur des hommes pourra dire les meilleures paroles du monde à son fils ou sa fille, celles-ci resteront sans effet et glisseront sur lui ou sur elle comme sur les plumes d’un canard ».
Pour Philippe Julien, c’est parce que le père habite physiquement cette place créée par le manque en la mère que l’enfant peut investir l’image paternelle. Le fils ou la fille « l’investit alors de grandeur, de puissance et de force avec ce vœu : qu’il fasse le poids à côté de la mère », car la mère n’est pas seulement ni toujours, comme on veut nous le faire croire, le lieu du “beautifull care”, de la relation idéale ou « du paradis désiré. Elle est aussi (pour l’enfant) le lieu du caprice et de l’angoisse »[11] destabilisante : « que veut-elle ? ».
Le vrai « du père n’est ni l’homme qui se suffit à lui-même en sa perfection et se donne en modèle, ni à l’inverse celui qui demande à ses enfants de combler ses propres manques. Le père est le représentant d’une loi qu’il ne peut soutenir que parce qu’il n’en est ni le maître ni le législateur ». Il est choisi par une femme pour occuper cette place « devant » ces enfants. Relevons le mot de Philippe Julien : la fonction du père est de se tenir « devant » et non pas “avec”, ni “pour”, ni “à côté”. En se tenant devant les enfants, le père symbolique empêche la tentation du retour vers la mère. Il sépare l’enfant et la mère en “inter-disant” la relation fusionnelle, et indique la voie que doit prendre le pulsionnel : le destin de l’enfant n’est pas de combler les manques de jouissance ou les angoisses de son père ou de sa mère, ni de réparer leurs blessures antérieures. Le destin d’un enfant est de « quitter son père et sa mère »[12], s’en détourner, pour passer de l’être humain à la vie sociale, construire de nouvelles alliances et prendre sa place dans la société.
Un autre enjeu de la présence du père dans le développement de l’enfant est sa part dans la construction de son identité de genre et de son orientation sexuelle : en effet, peut-on concevoir la construction de l’identité sans identification ?
Assumer la différence des sexes nécessite tout un travail psychique, et la clinique psychanalytique nous permet de saisir comment l’identité et l’orientation sexuelles de l’enfant se nourrissent et s’étayent à partir des relations parentales.
La découverte de la différence anatomique des sexes crée chez l’enfant un nouveau pôle d’excitation et de curiosité. Cette « curiosité » est un enjeu psychique essentiel du développement du petit garçon et de la petite fille qui s’interrogent sur leurs propres organes génitaux… Toutes ces zones font l’objet de nouvelles investigations, de spéculations imaginaires, et de théories sexuelles infantiles sur les raisons de l’absence et de la présence de pénis et de vagin, sur la manière de faire des enfants, sur le coït…
Pour dire les choses rapidement : de par sa visibilité, le pénis du garçon et la force de son érection totémique deviennent un enjeu majeur du développement des enfants, et une source d’angoisses distinctes chez le garçon et chez la fille. Chaque enfant, selon son sexe, va ainsi construire ses propres théories imaginaires pour annuler la perspective du manque et se conforter dans l’idée que chacun est doté d’un sexe et de pouvoirs dont l’autre sexe est exclu : aux garçons le pénis, aux filles la grossesse…
Puis il faudra encore aller au-delà des apparats narcissiques du masculin et du féminin pour se dire et se vivre homme ou femme : Il faudra assimiler le choc de l’altérité psychique que représentent la différence anatomique d’entre les sexes et la différence des jouissances.
En attendant le moment où l’adolescente et l’adolescent seront prêts à rencontrer charnellement une personne de l’autre sexe, la vue, l’odeur, le toucher des organes génitaux, le désir de pénétrer et celui d’être pénétrée raviveront selon l’équation personnelle de chacun : la fierté, l’angoisse, l’horreur, la castration, l’inégalité, l’acceptation ou le déni de l’absence de pénis, l’activité et la passivité, la dépréciation et le mépris, la culpabilité, l’ambivalence inconsciente liée à la nécessité de se détacher du parent et le vœu de lui rester fidèle.
… Tout un ensemble d’affects et de mécanismes psychiques engendrés par le roc biologique de la différence anatomique d’entre les sexes.
Sur cette autre scène psychique du sexe, sur laquelle homme et femme se présentent mâle et femelle, on est bien loin de l’amour qui préside au beau projet océanique de faire naître un enfant. Mais il faut certainement l’amour ou le fantasme (ou les deux) pour supporter le côté agressif du rapport sexuel, et dépasser la conception infantile et sadique du coït, dans laquelle « la partie la plus forte fait subir (son excitation sexuelle) avec violence à la plus faible »[13].
À partir des menaces que peut susciter la différence des sexes, on peut aussi saisir combien un désir d’enfant via l’artifice de la PMA, peut permettre de faire l’économie des charges affectives et menaçantes pour le Moi des futurs parents.
Je viens de développer une réflexion qui s’appuie sur le lien consubstanciel qui unit charnellement l’enfant à son père.
Mais ne concevoir la fonction paternelle qu’à partir de sa consubstancialité, n’est-ce pas encore rester dans la caverne de l’héritage ? N’est-ce pas encore se référer à une éthique genrée, paternaliste, virilo-centrée que justement contestent celles et ceux qui veulent s’en affranchir ? Si nous voulons bien entendre cette contestation et l’associer avec d’autres éléments que nous connaissons déjà, que pouvons-nous dire ?
La « loi du père », n’est-ce pas finalement, celle qui invite à accéder à l’autonomie et à la liberté, celle qui permet de devenir « sujet de désir » en s’affranchissant « des pesanteurs, des contraintes du cosmos, de la race[14] » ou du genre ? Le théologien J. Moingt attirait notre attention en relevant que « les évangiles montrent Dieu dans sa relation au Christ en posture de père et très peu de géniteur ». Il nous indique que les textes chrétiens mettent en avant une relation au père déconnectée de la procréation, et s’étonne que la pensée occidentale ait choisi de valoriser l’inverse, en réduisant la « relation de paternité » à la procréation.
Autre source d’étonnement : tout, dans les textes chrétiens comme dans les textes de la psychanalyse, nous invite à considérer que le père est déjà mort, mais avons-nous vraiment saisi l’importance de cette assertion ? On nous dit qu’il est mort et on s’en amuse même entre nous avec humour.Mais, comme des enfants, on se crispe aujourd’hui sur celui qu’il faut sauver et honorer tout en reconnaissant l’intérêt qu’il soit mort… S’agit-il d’une ambivalence ou de l’inter-section de deux réalités antropologiques ? Ambivalence dans le fait de vouloir tuer celui qu’on aime, ou intersection entre « le papa » et « le père » ? Sans doute les deux à la fois, ambivalence et inter-section, ce qui nous amène à penser que :
Revenons à cette mort du père : qu’il s’agisse du vieux mâle de la horde primitive, d’Abraham, du dieu chrétien, ou du roi de France… l’Homme s’est affranchi des contraintes de la nature et de l’obscurantisme pour se donner la loi. De cet affranchissement a surgi un ordre symbolique fondé sur l’échange entre frères, ordre symbolique dans lequel chacun s’inscrit par la « parole » et l’échange dans le respect des « interdits et des valeurs » qui organisent de manière continuelle notre manière de vivre ensemble :
Retenons que si la fonction paternelle passe en partie par la lignée procréatrice, on peut aussi considérer qu’elle ne passe « pas-toute »par la triangulation mère-père-enfant, car le « pas-tout » est en chacun de nous : une mère est aussi une femme, un sujet qui se débat dans son rapport à la vie avec son incomplétude, son environnement relationnel, son histoire, sa condition sociale et économique, son organisation quotidienne… Banalité, peut-on se dire. Mais cette banalité s’avère être une révélation pour l’enfant quand il la découvre : sa mère est ailleurs… Son désir n’est pas tout entier tourné vers lui… Elle est même capable de le laisser pour vaquer à ses occupations…
Nous pouvons donc considérer qu’il existe aussi, en la mère seule, une part de la fonction paternelle séparatrice qui est déconnectée de la reproduction, et qui s’inscrit dans l’extra-maternel, dans le rapport à la vie extra-maternelle de la femme devenant mère. Tout du moins jusqu’à aujourd’hui car les femmes sont encore nées d’un père.
Si les données psychiques que j’ai présentées sont le fruit de l’observation des cliniciens et des thérapeutes, si elles peuvent nous donner à connaître et à comprendre les enjeux de l’identité, de la conjugalité, de la parentalité, de la filiation et du développement de l’enfant, il serait sans doute périlleux de considérer ces mêmes données psychiques comme des directives ou des invariants dont la forme ou l’agencement seraient ou devraient être intangibles.
Rappelons que la théorisation conceptuelle des processus psychiques n’est que le compte-rendu après-coup de l’écoute clinique des individus. C’est parce que Freud et ses successeurs ont su écouter des patientes et des patients qu’ils ont pu découvrir les mécanismes psychiques existant dans l’inconscient. Et même si Freud et les psychanalystes après lui tendent vers une psychologie scientifique, c’est le même Freud qui met en garde les psychanalystes contre la tentation d’une « vision de ce que doit être le monde » : la prétention à faire science ne doit pas conduire à affirmer des certitudes péremptoires.
Ce n’est sans doute pas sans raison que la psychanalyse a perdu en crédibilité. En culpabilisant les mères dans la psychose infantile et l’autisme, en produisant dans les médias des interprétations psychanalytiques d’hommes et de femmes qu’ils n’ont jamais rencontrés, en prenant la parole de façon doctrinale, en indiquant ce que doit être un homme, une femme, un père, une mère, certains discours psychanalytiques ont inversé leur posture méthodologique : d’abord écouter pour servir, puis dans un second temps, rendre compte pour faire avancer la connaissance.
Aujourd’hui sur l’extension de la PMA pour toutes, que pouvons-nous dire ?
Peut-être déjà, parler des limites des discours alarmistes ou prosélytes auxquels on nous demande d’adhérer.
Dire pour ne pas être dupes, et dire aussi pour ouvrir d’autres possibles, d’autres perplexités.
Se déprendre tout d’abord des fausses évidences, et dire que :
Mais dire aussi que :
Nous aurons sans-doute à repenser ce que sera demain la fonction paternelle :
Si un enfant est toujours le symptôme de ses parents (car il est le fruit de l’union de deux manques à être, de deux incomplétudes), comment vont circuler les désirs, les fantasmes, la jouissance, le manque, l’altérité et la mêmeté dans le couple ou chez la femme seule ? Si un enfant est toujours un « inédit » (PG Gueguen), de quelle alchimie inconsciente naîtra un désir d’enfant ?
Nous voilà renvoyés à la singularité de telle femme et de telle autre, et pas seulement à des mécanismes de fabrication : la diversité des naissances et des parcours nous l’enseigne déjà. La construction et l’équilibre de la personnalité de l’enfant proviennent des parcours familiaux singuliers. La psychanalyse ne peut pas prédire les conséquences du désir inconscient. Aucune cause à effet ne peut être affirmée selon le modèle des sciences exactes, sauf sans doute dans de rares circonstances où les conditions manquent (par exemple dans les pouponnières de Ceaucescu, mais les pouponnières roumaines avaient organisé l’abandonisme des nouveaux-nés).
Comment chacun se construira dans la circulation des jouissances intrafamiliales ?
Quels seront les nouveaux romans familiaux et les nouveaux psychodrames de demain ?
Quels impacts auront ces nouvelles procréations sur le psychisme intrafamilial ?
Quels seront les impacts sur la société et le vivre-ensemble ? Faudra-t-il se résoudre à faire évoluer nos positions morales sur la marchandisation du corps et sur l’eugénisme que proposeront inévitablement à terme les progrès scientifiques ? Comment vont évoluer demain les relations entre les humains, les relations entre les sexes ? Et avec quelles conséquences ?
Et avec la GPA à venir, inexorablement, la question ne sera plus qu’est-ce qu’un père, mais aussi qu’est-ce qu’une mère ? ou qui est ma mère ? Car l’enfant devra composer avec la mère d’intention, la mère donneuse d’ovocytes et la mère porteuse…
Avant la révision des lois de bioéthique 2019, le critère éthique dominant était « la conformité du comportement sexuel avec la stabilité et la reproduction de l’ordre familial et social[16] ». Aujourd’hui, l’acte de procréer pourra désormais et légalement être disjoint de l’acte sexuel : mais il y aura encore du sexe chez la femme, et du désir d’enfant, qu’elle soit célibataire ou homosexuelle, … et il y a encore de « l’autre » puisqu’elle y a recours… même si cet autre n’est pas un conjoint désiré. Telle ou telle femme continuera encore d’attendre un enfant, et un enfant naitra de cette attente.
Certes, il n’y aura plus un « voici ton père », mais il peut encore exister quelque chose « de la loi du père » dans la transmission de la mère à l’enfant :
Nous serons sans-doute appelés à écouter chacun (mère, enfant, conjointe) et à déchiffrer la façon dont chacun se débat dans la vie avec son histoire, son désir et son inconscient, comme cela se fait actuellement.
Nous recevrons sans doute quelques-uns de ces enfants, mais pas tous… comme cela se fait aussi actuellement.
Nous devrons aussi faire un effort de décentration méthodologique : celui de ne pas se servir des éléments de la clinique pour justifier nos croyances, nos idéologies, ou nos représentations prédéterminées.
« Une Weltanschauung (vision du monde) est une construction intellectuelle qui résout, de façon homogène, tous les problèmes de notre existence à partir d’une hypothèse qui commande le tout » (Freud), et qui ne laisse aucune question sans réponse.
Toute vision du monde risque d’être une morale figée qui dit ce que le monde doit être. Jusqu’à présent, la « PMA pour toutes » nous dit seulement ce qui pourra être pour telle ou telle femme qui y aura recours.
Même si certaines inquiétudes ne sont pas sans fondements, concluons en disant que si de nouvelles valeurs sont instituées au niveau collectif, l’éthique sera encore et toujours convoquée au niveau individuel.
[1] CCNE, Contribution InterLGBT
[2] CCNE, Conseil national du Barreau
[3] Le Monde, 21 septembre 2019
[4] Le corps entre biotechnologies et psychanalyse : à propose de la PMA, 1993
[5] Libération, 5 juillet 2017
[6] Le Monde, 27 décembre 2012
[7] J. Moingt, Religion et paternité, Littoral, 11/12, Février 1984
[8] L’enfant d’un autre, S. Lama
[9] Qu’est-ce qu’un père ? Études, décembre 1984
[10] Ph. Julien, Études, décembre 1984
[11] Philippe Julien, L’amour du père chez Freud, Littoral 11/12, 1984
[12] Philippe Julien, Tu quitteras ton père et ta mère, Aubier, 2000
[13] Freud, Les théories sexuelles infantiles, p. 22 ; in La vie sexuelle, PUF
[14] J. Moingt, Littoral
[15] Pour quelles raisons aime-t-on quelqu’un ? Pour quelles raisons souhaite-ton un enfant ?
[16] J. Moingt, Littoral 11/12, février 1984
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